Le 4 octobre dernier, nous avons appris le décès de Patricia Tavignot.
À la demande de l’AECSE, André D. Robert et Richard Wittorski ont accepté de lui rendre hommage. Nous les en remercions vivement. Leur texte est reproduit ci-dessous.
Son collègue Jean-François Thémines a, lui aussi, écrit un texte d’hommage, que vous retrouverez sur son site : https://jeanfrancoisthemines788063388.wordpress.com/2022/10/23/hommage-a-patricia-tavignot/
Nous adressons à sa famille, à ses proches et à nos collègues de l’université de Rouen nos très sincères condoléances.
Le CA de l’AECSE
Après avoir soutenu sa thèse de Doctorat sous la direction de Gérard Vergnaud, Patricia Tavignot a été recrutée d’abord comme Directrice des études puis Maître de Conférences au milieu des années 1990 à l’Université de Rouen. Elle y a réalisé l’essentiel de sa carrière d’enseignant-chercheur, d’une part à l’IUFM devenu ensuite ESPE puis plus récemment INSPE pour le volet enseignement de ses activités et d’autre part au laboratoire CIVIIC (Centre Interdisciplinaire de recherche sur les Valeurs, les Identités et les compétences) devenu CIRNEF (Centre Interdisciplinaire de recherche Normand en Education et formation) pour le volet recherche. Ces dernières années, elle était co-responsable de l’axe : « Dynamiques et perceptions du changement dans les pratiques d’enseignement – apprentissage ». Sa forte implication dans le domaine de la formation des enseignants est connue et reconnue de tous ses collègues. Cette implication s’est notamment traduite par son engagement volontaire dans plusieurs projets d’envergure au gré des réformes, tels l’installation de l’analyse de pratiques à l’IUFM de Rouen au début des années 2000, puis le développement progressif de la formation de formateurs dans ce même lieu avec plus récemment le montage et la co-responsabilité d’un parcours de master, mention 4 du MEEF. Ses engagements en matière de recherche ont également été importants, évoquons par exemple la mise en place d’un espace recherche à l’IUFM de Rouen en étroite articulation avec le laboratoire CIVIIC qui a été l’occasion de fédérer les efforts de recherche internes à l’IUFM et d’adosser progressivement l’offre de master à ces travaux. Il en est de même de son implication déterminante dans un programme de recherche longitudinal à propos de la professionnalisation des enseignants (suivi de plusieurs cohortes de jeunes diplômés au gré de plusieurs réformes). Parmi ses publications les plus significatives : des ouvrages, avec Jean-Luc Rinaudo (dirs.), Le changement à l’école. Sources, tensions, effets, L’Harmattan (2016), avec Jean-François Thémines (coords.), Professeurs des écoles en formation initiale au fil des réformes : un modèle de professionnalisation en question, Presses du Septentrion (2019) ; des articles : A propos de la transposition didactique en didactique des mathématiques, Spirale, 1995, 15, 31-60 ; Circulation de savoirs et espaces d’intéressement : types de savoirs dans un dispositif d’accompagnement. Recherche et formation, 2008, 58, 43-56 ; avec Martine Janner-Raimondi, Posture d’accompagnement au changement-innovation avec des équipes d’école volontaires : l’implication réfléchissante, Éducation et socialisation [En ligne], 38|2015, mis en ligne le 15 juin 2015.
Le rayonnement de Patricia en matière de recherche dépasse largement l’Université de Rouen, puisqu’elle a été souvent sollicitée pour rendre compte de ses travaux auprès de communautés variées, universitaires et professionnelles. A ce titre, elle a par exemple assuré avec Jean-François Thémines, à la rentrée 2021, la conférence d’ouverture du colloque « L’école primaire au 21e siècle » à l’université de Cergy : « Un modèle de professionnalisation en question : les transformations du métier de professeur des écoles perçues à partir de l’investissement de la formation initiale par les étudiants ». Ce fut sans doute, malheureusement, sa dernière grande intervention publique en sciences de l’éducation et de la formation.
Un autre aspect majeur de l’activité de Patricia concerne son dévouement à la communauté des enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation et de la formation, à travers sa participation aux travaux du CNU 70e section. Elle a siégé dans cette instance de 2008 à 2019, d’abord comme membre, puis durant les deux mandats suivants comme membre du bureau, d’abord deuxième vice-présidente, ensuite assesseur. Son rôle au sein de ce bureau a été continûment apprécié par les différentes équipes successives, et quelles qu’aient été les sensibilités syndicales. Elue de la liste non syndicale[1], Patricia avait la capacité de trouver des accords avec tous par la qualité et le sérieux de son travail, par sa très bonne connaissance de notre communauté scientifique à l’échelon national, notamment lors des moments toujours délicats de répartition des dossiers à instruire auprès de telle ou tel. Jamais comptable de son temps, dotée d’un réel esprit de synthèse, elle-même procédait à des analyses très équilibrées des dossiers qui lui incombaient (de didactique et d’autres champs), analyses toujours marquées au coin de la bienveillance envers autrui (une des caractéristiques de la personnalité de Patricia), quoique sans laxisme. Prenant des notes très détaillées sur le type de travaux des unes et des autres, Patricia a constitué une véritable mémoire de la section 70, qui se révélait extrêmement précieuse en session pour éclairer l’assemblée lorsqu’un problème survenait et qui a été indispensable à l’appareillage statistique en vue de la rédaction de notre article écrit à partir de notre expérience du CNU 2011-2015 : « Les productions doctorales 2012-2015 et le devenir des docteurs ‘qualifiés’ au prisme de la 70e section du CNU »[2]. Ayant bataillé, avec d’autres, à propos de plusieurs décisions réformatrices, contestables et contestées, tel que par exemple dernièrement le bilan de carrière, elle se reconnaissait pleinement dans la conclusion de cet article : « il nous semble qu’un collectif national pluriel, constitué de 24 membres, et bientôt de 36, s’il ne saurait être à l’abri d’erreurs, reste mieux à même de se prononcer sans parti-pris d’école théorique ou méthodologique étroit sur la qualité scientifique de dossiers doctoraux » et autres questions.
Nous gardons et garderons le souvenir ému de la Patricia formatrice, chercheure, dévouée à sa communauté scientifique bien sûr, mais aussi de la femme enjouée – par-delà les souffrances que lui avait valu la maladie –, dynamique, et toujours en souci des autres, jamais avare de sa bienveillance et de son amitié.
André D. Robert et Richard Wittorski
[1] « Une alternative pour les sciences de l’éducation ».
[2] André D. Robert & Patricia Tavignot, in dossier Evolutions et défis des sciences de l’éducation. Regards transnationaux R. Hofstetter, T. Piot (coords), Les Dossiers des sciences de l’éducation, 2019, 42, 89-119.